La chasse, les rivalités de clans, le vol, l'invasion, l'affrontement rituel, la guerre... Voici autant de formes de combat, d'un ou plusieurs hommes contre d'autres hommes ou des animaux afin d'assurer la survie ou la domination d'un groupe et que l'on retrouve depuis les origines de l'humanité.
L'histoire des arts martiaux de la péninsule coréenne est assez difficile à retracer. A cela plusieurs raisons. D'une part un désintérêt certain pour les choses de la guerre et particulièrement pour les arts martiaux, dédaignés par la classe dirigeante et les lettrés sous la dynastie Yi (1392-1910), contexte qui n'a pas favorisé la production de documents écrits ni leur conservation. D'autre part, la colonisation japonaise (1910-1945), la deuxième guerre mondiale (1939-1945) et la guerre de Corée (1950-1953) ont conduit à une disparition quasi totale des archives ayant trait aux arts martiaux, du fait notamment des bombardements et des pillages. Une des rares œuvres traitant des techniques de combat qui nous soit parvenue jusqu'à aujourd'hui est le muye dobo tongji qui a été rédigé à la fin du XVIIIe siècle. Y sont exposés dix-huit armes, dont la boxe (Kwon Bop, méthode du poing) et le combat équestre.
La Corée, de part sa position géographique, a toujours été un carrefour, un lieu de passage entre la Chine et le Japon. Prenons l'exemple du Bouddhisme. Né au VIe siècle av. JC en Inde, il est passé en Chine où un nouveau courant a vu le jour, le chan. Celui-ci a ensuite transité par la Corée où il a pris le nom coréen de seon pour enfin parvenir au Japon et devenir le zen, si célèbre aujourd'hui. Et cela a également été valable pour la peinture, la poésie ou encore la poterie.
Ainsi, à l'instar des échanges commerciaux, culturels et religieux, les arts martiaux ont fait l'objet de transactions, d'observations mutuelles, d'imprégnations multiples. Il semble donc peu probable qu'une discipline se soit développée de manière isolée dans une zone géographique donnée, en-dehors de tout contact avec d'autres arts martiaux, comme une création spontanée surgit de nulle part. Si la Corée peut s'enorgueillir à l'heure actuelle d'un riche patrimoine martial, dynamique et novateur, il est tout-à-fait légitime de penser qu'elle a été largement influencée par ses voisins chinois et japonais tout autant qu'elle a pu développer des techniques qui ont été reprises par eux. Pour autant cela n'a pas empêché le développement de spécificités locales, chaque pays adaptant ses techniques de combat au contexte morphologique, géographique, culturel et religieux de son époque.
La méthode de combat la plus ancienne en Corée est vraisemblablement le Soo Bahk mais dont on ne sait en réalité que peu de chose. Il convient d'ailleurs de ne pas le confondre avec le Soo Bahk Do moderne crée par HWANG Kee après la guerre. Sans doute était-ce une méthode très complète incluant les percussions, les clés et les projections. Mais des systèmes de combat comme le Kwon Bop (forme de boxe), le Taekkyon (méthode axée sur les coups de pied) ou le Ssireum (forme de lutte) devaient exister sous une forme ou sous une autre. Mais il est important d'avoir à l'esprit que le combat à mains nues ne représentait qu'une partie mineure de l'entraînement des soldats de l'époque, l'apprentissage se focalisant en priorité sur le maniement des armes : sabre, lance, hallebarde et plus tard les armes à feu, bien plus meurtrières que les pieds et les poings.
Les évolutions
- Sadomusul (techniques martiales tribales) : elles trouvent leur origine dans les clans et servaient, par des mouvements rudimentaires, à défendre les villages ou les cités-Etats. Elles avaient aussi un aspect folklorique ou initiatique ;
- Bulgyomusul (techniques martiales bouddhistes) : mises au point par les moines, qui ne devaient théoriquement pas portés d'armes, ces techniques insistaient sur la santé, la méditation et les défenses à mains nues et au bâton ;
- Kungjungmusul (techniques martiales royales) : destinées aux troupes du palais royal, ce sont des techniques élaborées, avec et sans armes, dont l'objectif était la protection rapprochée du roi, de sa famille et des membres du gouvernement.
Les trois stades de développement
- Musul (techniques martiales) : l'objectif était simple, vaincre l'adversaire sur le champ de bataille. Ces techniques empiriques devaient blesser ou tuer, elles étaient destinées à un affrontement de masse entre des soldats armés ;
- Muye (arts martiaux) : vers le XVème siècle, les méthodes de combat se codifièrent et se complexifièrent, elles restèrent des moyens guerriers mais devinrent également une expression culturelle voire artistique ;
- Mudo (voies martiales) : d'apparition plus récente, au XIXème siècle, cette conception s'intéressa au développement de l'individu, à sa formation physique et mentale. Le combat n'est plus une fin en soi.
Une figure emblématique : Maître CHOI Yong Sul (1904-1986)
CHOI Yong Sul (CHOE Yong Sul) est né en Corée dans la province de Chungbukdo en 1904 (certaines sources disent 1899). Orphelin, vers l'âge de 8 ans il fut emmené de force par un marchand japonais qui le conduisit au Japon. Rapidement abandonné, il aurait semble-t-il été recueilli dans un temple bouddhiste près de Kyoto ou il aurait séjourné environ deux ans. Le jeune CHOI, assez turbulent, fut placé par le supérieur du temple chez un de ses amis, Sokaku TAKEDA (1860-1943) et pour lequel CHOI travailla comme domestique. Il resta finalement 30 ans au service de TAKEDA, qui lui donna le nom de YOSHIDA Asao, et auprès de qui il se forma aux arts martiaux, principalement dans le domaine des contrôles articulaires.Parfois considéré comme l'un des derniers samouraïs, Maître TAKEDA était l'héritier d'une tradition martiale très ancienne : le Daito Ryu Aiki Jujutsu (école d'Aiki Jujutsu du Grand Est). Cette école enseignait le sabre, arme noble par excellence, mais était aussi réputée pour ses différentes méthodes de combat à mains nues à base de clés et de projections. TAKEDA a également eu pour élève un autre personnage devenu célèbre par la suite, le fondateur de l'Aikido, Maître Morihei UESHIBA (1883-1969). Ainsi, Morihei UESHIBA et CHOI Yong Sul ont eu l'occasion de se croiser, ce qui par la suite entraîna de nombreuses comparaisons de même que des polémiques sur les liens entre ces deux disciplines.
Suite au décès de TAKEDA en 1943 et avec la fin de l'occupation japonaise de la Corée en 1945, CHOI Yong Sul décida de retourner dans son pays. A son arrivée au port de Pusan, CHOI aurait perdu son argent et surtout ses diplômes (menkyo kaiden) attestant de son niveau de pratique et l'autorisant à enseigner l'art du Daito Ryu. C'est en raison de ce contexte d'après guerre dans une Corée tourmentée que la controverse sur le passé de CHOI persiste jusqu'à aujourd'hui. En effet, aucun document ou témoignage ne permet d'attester de son cursus auprès de TAKEDA ni d'affirmer qu'il fut effectivement, comme le dit la légende, l'un des rares héritiers des techniques de TAKEDA. En outre, CHOI, de par sa condition sociale et son statut de ressortissant coréen, devait être considéré comme faisant partie d'une caste inférieure, celle du peuple vaincu. TAKEDA, d'ascendance noble, appartenant à une vieille lignée de samouraïs, n'a vraisemblablement pas fait de CHOI son fils adoptif, même si par ailleurs il pouvait particulièrement l'apprécier. S'il ne figure pas sur les archives du Daito Ryu, CHOI n'en n'a que plus de mérite car il a su s'imprégner des techniques de TAKEDA sans pour autant appartenir au cercle officiel de ses élèves, un statut sans doute difficile à vivre.
Sans ressource, CHOI s'installa à Taegu, où il travailla comme vendeur de rue. Il élevait également quelques porcs pour assurer la subsistance de sa famille. Il avait pour habitude de se rendre le matin de bonne heure dans une brasserie afin de récupérer les résidus issus de la fermentation de la bière (grains, paille...) et distribués gratuitement, pour nourrir ses bêtes. C'est à cette occasion qu'il fit une rencontre importante pour l'histoire de ce qui deviendrait plus tard le Hapkido.
Une rencontre déterminante : SUH Bok Sup
En 1947 (ou 1948), le fils du propriétaire de la brasserie, SUH Bok Sup (SO Bok Sop), assista à une rixe entre un homme et plusieurs agresseurs. Il s'agissait en fait de CHOI Yong Sul, lequel se défit très vite de ses attaquants. Impressionné, SUH fit monter CHOI dans son bureau et lui demanda de démontrer quelques techniques car il ne connaissait pas ces types d'enchaînements malgré son 1er dan de Yudo (Judo), un grade élevé à l'époque. Très rapidement convaincu par l'efficacité de la méthode de CHOI, il l'engagea afin de prendre des leçons auprès de lui, ce qui fit de SUH le premier élève de CHOI. Par la suite il devint même le garde du corps du père de SUH, SUH Dong Jin qui était un homme politique.CHOI a d'abord enseigné son art sous le nom de Yawara ou de Yusul, mais en 1951, il choisit d'adopter un autre nom pour sa méthode : Hapki Yukwonsul. Sous les conseils de SUH, CHOI fit ce choix car il estimait que le terme de Yusul pouvait être facilement confondu avec le Yudo qui n'est autre que la prononciation coréenne de Judo. Suite à la colonisation nippone, tout ce qui venait du Japon était mal perçu par la population coréenne. Ainsi, pour tenter de laver l'affront de trente six années d'occupation, le nationalisme coréen s'exacerba et le gouvernement tenta d'effacer toute trace de la présence japonaise. Les arts martiaux n'échappèrent pas à ce processus, les noms des disciplines d'origine japonaises furent tous coréanisés dans les plus brefs délais.
En effet, les autorités japonaises avaient interdit la pratique de toutes les disciplines coréennes comme le Taekkyon ou le Soobahk. Cette interdiction s'inscrivait d'ailleurs dans un mouvement plus vaste de tentative d'affaiblissement de la culture coréenne qui passait notamment par l'usage obligatoire du japonais, méthode classique d'acculturation pratiquée par les régimes coloniaux. Par conséquent, seuls étaient autorisés les arts martiaux japonais, essentiellement le Karaté, le Judo et le Kendo.
Avec le départ de l'occupant, le Karaté devint ainsi le Kongsoodo, le Judo le Yudo, et le Kendo le Kumdo. Par la suite d'autres appellations virent le jour, désignant des styles, des courants et des écoles divers plus spécifiquement coréens. Au début de 1951, CHOI et SUH fondèrent le Hapki Yukwonsul Dojang et commencèrent à donner des démonstrations, à l'université de Taegu notamment. Peu après la guerre de Corée, en 1953, CHOI ouvrit un dojang à son propre domicile, situé à Taegu. Ce n'est que vers 1958 que le style de CHOI prit définitivement le nom de HAPKIDO.
CHOI Yong Sul s'est éteint à Taegu en 1986.
Le développement : JI Han Jae (né en 1936)
JI Han Jae fait partie des maîtres de Hapkido les plus connus car c'est en grande partie grâce à lui que la discipline fut popularisée à travers le monde. JI se forma sous la tutelle de CHOI pendant environ sept ans, de 1949 à 1956. CHOI lui dispensa son enseignement sans ménagement mais JI n'abandonna pas malgré la dureté des entraînements. Son obstination paya et après trois ou quatre ans il devint un des plus proches assistants de CHOI. En 1956 JI retourna dans son village d'Andong, non loin de Taegu. D'après ses affirmations, JI passa à peu près un an à s'entraîner sous la direction d'un moine taoïste du nom de LEE. Il étudia les coups de pied issus du Taekkyon, le bâton long et le bâton court ainsi que la méditation. C'est également à Andong que JI ouvrit son premier dojang, le An Mu Kwan.Courant 1957, JI s'installa à Seoul où il ouvrit son nouveau dojang, le Song Mu Kwan. Dès lors il commença à enseigner une synthèse des arts martiaux qu'il avait étudiés auprès de ses différents maîtres. C'est au cours de l'année 1958 (ou 1959) que JI Han Jae aurait opté pour le nom de Hapkido, même si des élèves restés proches de CHOI prétendent que c'est ce dernier qui aurait choisi ce nouveau nom. JI, influencé par sa rencontre avec le moine taoïste et par l'émergence d'arts martiaux portant le suffixe « do » (tendance inspirée par les arts martiaux japonais), la voie, le philosophie, le mode de vie..., comme le Tangsoodo, le Kongsoodo, aurait décidé de nommer sa discipline HAPKIDO.
Rebondissement. En 1960, JI apprend qu'il existe au Japon une méthode dont le nom, Aikido, s'écrit avec les mêmes idéogrammes chinois que Hapkido. Voulant éviter toute confusion avec l'art martial de UESHIBA et toujours avec le souci de se démarquer du voisin et ennemi japonais, JI décide de rebaptiser son style KIDO. En 1963 fut ainsi fondée l'Association Coréenne de Kido, Daehan Kido Hoe avec à sa tête CHOI. Mais assez rapidement le nom de Kido fut délaissé car plusieurs de ses élèves estimèrent qu'il importait peu que ces deux arts martiaux s'écrivent avec des caractères chinois identiques étant donné qu'il s'agissait de deux disciplines nettement distinctes. En 1965 l'association prit alors le nom de Daehan Hapkido Hoe, Association Coréenne de Hapkido. De nombreuses modifications eurent lieu mais en 1984 fut choisi le nom de Fédération Coréenne de Hapkido, Daehan Hapkido Hyophoe, nom sous lequel cette fédération est toujours connue et est l'une des plus importante en Corée.
Pendant toute cette époque, JI fit de nombreuses rencontres et il devint garde du corps du président PARK Chung Hee de 1962 à 1979. Il enseigna aussi à l'académie militaire ainsi qu'auprès de différentes unités de police. En 1969, lors d'un séjour aux États-Unis, il dispensa des cours au FBI et à d'autres agences américaines. Au cours des années 1970, JI fit également des apparitions dans quelques films hongkongais avec notamment une scène célèbre dans « Le jeu de la mort » où il affronta Bruce LEE dans ce qui fut le dernier film du Petit Dragon, à titre posthume. De cette période il ressort que JI avait une grande influence, en raison particulièrement de sa proximité avec le président, il contribua de la sorte à populariser le Hapkido en Corée et même au-delà. Toutefois il connu un revers important en 1975 lorsque la femme du président PARK fut tuée lors d'une tentative d'assassinat à l'encontre de ce dernier. S'il continua à assurer sa protection, il perdit une partie de son crédit auprès de lui. Et surtout, à la mort du président dictateur en 1979, JI passa un an en prison, comme nombre de proches de l'ancien gouvernement. Après cela il partit pour les États-Unis où il continua à diffuser le Hapkido et principalement son nouveau style, le Sin Moo Hapkido.
A l'heure actuelle JI Han Jae dispense de multiples stages à travers le monde, continuant ainsi à populariser le Hapkido auprès du plus grand nombre.